Pré-éclampsie : explications du Dr Berkane

Dr Berkane, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Gynécologue obstétricienne diplômée en 1993, j’ai poursuivi ma carrière à Paris pendant plus de 20 ans dont la plus grande partie en tant que responsable de l’Unité d’Obstétrique à l’hôpital Tenon (APHP). Depuis 2014, je travaille à Genève, d’abord aux HUG et depuis peu à la clinique des Grangettes.

L’équipe de Tenon est pionnière pour la prise en charge des femmes avec pré-éclampsie avec la découverte du rôle préventif de l‘aspirine et pour les marqueurs prédicteurs d’une pré-éclampsie. Ainsi j’ai pu développer une forte expertise dans le domaine de la pré-éclampsie (clinique et recherche).

Qu’est-ce que la pré-éclampsie ?
La pré-éclampsie est une pathologie qui complique 3 à 7 % des grossesses environ, avec des risques potentiels pour la mère et son/ses enfant(s) à naître. C’est une maladie qui survient après 20 semaines d’aménorrhée (SA) et le plus souvent au dernier trimestre de la grossesse.

Si de grands pans de cette pathologie sont encore méconnus et sources de recherche, il existe une certitude, la pré-éclampsie est liée à un dysfonctionnement du placenta. C’est pour cela que dans les formes sévères on va proposer l’accouchement c’est-à-dire en fait d’enlever le placenta mais ce qui oblige à ce que le/les bébés naît/naissent.

Combien de femmes sont touchées par la pré-éclampsie en Suisse ?
Difficile d’avoir des chiffres, car il n’y a pas de registre mais le taux de prééclampsie est estimé autour de 2% soit 1600-1900 grossesses par an ce qui est plus bas qu’au niveau mondial.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le syndrome HELLP, une variante de la pré-éclampsie ?
Le HELLP syndrome, HELLP pour Hemolysis (hémolyse), Elevated Liver enzymes (augmentation des enzymes du foie) Low Platelet count (compte de plaquettes bas), est une forme grave de pré-éclampsie qui touche le foie (destruction de cellules du foie), le sang (destruction de globules rouges) et diminution du nombre de plaquettes (cellules qui participent à la coagulation du sang). Une fois le diagnostic posé, la naissance devra se faire dans les heures ou jours qui suivent car les risques pour la mère et l’enfant à naître sont réels.

Quels types de femmes sont plus à risques ?
Si on ne connaît pas là où les causes de la pré-éclampsie, on a mis en évidence certains facteurs de risque comme le fait d’avoir fait un ou plusieurs antécédents de pré-éclampsie, de présenter une hypertension artérielle, un diabète, un âge avancé pour procréer (> 35/40 ans), une maladie auto-immune ou un surpoids important avant la grossesse. Il existe dans certains cas des facteurs génétiques, en effet si l’on est d’origine africaine ou bien que sa mère, sa sœur ou plusieurs femmes de sa famille ont eu une pré-éclampsie le risque augmente. Les grossesses multiples (jumeaux, triplés, …) sont aussi à risque.

Quels symptômes doivent faire suspecter une pré-éclampsie ?

  • L’apparition après 20 SA d’une hypertension artérielle nouvelle et de protéines dans les urines.
  • L’apparition brutale d’une rétention d’eau (œdèmes) avec gonflement des chevilles, des mains (on ne peut plus porter ses bagues) et du visage (paupières gonflées) et une prise de poids rapide.
  • D’autres maux peuvent signaler une forme sévère tels que maux de tête (céphalées) persistants, troubles de la vue, ou une impression de pression sur le haut du ventre (barre épigastrique). Enfin la présence de troubles digestifs comme des nausées ou vomissements et à fortiori d’une perte de connaissance avec convulsions marque une forme sévère.

Comment la détecter ?

Classiquement

  • De manière systématique lors des consultations de grossesse
    Le médecin va prendre les pressions artérielles de sa patiente et rechercher une protéinurie dans les urines cela à réaliser dans le but de dépister une pré-éclampsie.
  • En cas de symptômes
    Les femmes enceintes doivent être averties que la survenue des signes (décrits plus haut) doit les conduire à consulter en URGENCE.

Nouveautés

  • Dès le 1er trimestre
    Une analyse (mesure du PlGF) réalisée en même temps que la prise de sang du dépistage sanguin de la trisomie 21, peut évaluer, combinée à d’autres paramètres du 1er trimestre, le risque de survenue d’une pré-éclampsie. Si le risque est élevé (> 1/100, exemple 1/85), une prescription d’aspirine à faible dose sera proposée. Il est à noter que cette prise de sang n’est pour l’instant pas prise en charge par les assurances et coûte environ 40 CHF.
  • En cas de doute sur la présence d’une pré-éclampsie
    Une prise de sang (ratio sFlt1/PlGF) pourra aider à écarter le diagnostic pour les 7 jours qui suivent (si le ratio est très bas) avec une fiabilité de 99,3% ou valider la suspicion si le ratio est très élevé. Cette prise de sang est à la charge des assurances.

Est-ce grave pour la maman et le bébé ?
La majorité des pré-éclampsies vont simplement entraîner un déclenchement de la naissance qui va mettre fin à la maladie rapidement. Les femmes n’auront finalement eu qu’un accouchement déclenché et une prise de traitement contre l’hypertension. Mais il ne faut jamais perdre de vue que la pré-éclampsie reste une maladie potentiellement grave, c’est une des premières causes de mortalité et de prématurité des enfants à naître. Les mères peuvent aussi présenter des troubles graves comme une hémorragie utérine ou un accident vasculaire cérébral.

Enfin, il peut rester des séquelles de la prématurité et/ou du petit poids de naissance pour l’enfant et des risques cardio-vasculaires à distance pour la mère (hypertension…).

Comment minimiser le risque de pré-éclampsie au cours de sa grossesse ?
Si un risque élevé de pré-éclampsie est suspecté, une prescription précoce (< 16 semaines) d’aspirine faible dose (100-150 mg) pourra diminuer le risque de pré-éclampsie ou de formes précoces.

On ne peut à ce jour éviter toutes les pré-éclampsies mais il faut que tous (médecins et femmes) soient attentifs aux facteurs de risque suivants :

  • Avant la grossesse à l’occasion d’une consultation le médecin évaluera le risque en tenant compte de sa patiente (âge, surpoids), des antécédents et des pathologies en cours (hypertension, diabète, lupus, …).
  • Lors d’une prise de sang (mesure du PlGF) combinée à celle peut aussi identifier un risque élevé
  • Bien sûr à chaque visite de grossesse, le médecin vérifiera l’absence d’hypertension et de protéines dans les urines.
  • Enfin chaque femme doit connaître les signes (maux de tête, gonflement des chevilles et/ou des mains, …) qui doit la mener à consulter

Quel traitement contre la pré-éclampsie ?
L’hospitalisation est indispensable pour surveiller mère et enfant(s) à naître. Un suivi régulier par des bilans sanguins, urinaires et échographiques ainsi que des enregistrements du cœur du/des fœtus (monitoring) sera pratiqué.

Parfois une surveillance de la mère en soins continus est nécessaire avant et/ou après l’accouchement.

Les anti-hypertenseurs sont un traitement des symptômes pas de la maladie. On ne les prescrira qu’en cas d’hypertension sévère et ils ne devront pas baisser les pressions artérielles de la mère en dessous de 140/90 mmHg (14/9).

Un médicament anti-convulsivant le sulfate de magnésium peut être indiqué si l’atteinte cérébrale est marquée (maux de tête, réflexes vifs, troubles visuels, …) et globalement dans les cas de formes sévères.

Des injections de corticoïdes par voie intra-musculaire, seront données à la mère, si la pré-éclampsie survient avant 34 SA. Ils traversent le placenta est leur but ultime est de favoriser la maturation des poumons du/des fœtus. Si une naissance avant 32 SA devait survenir du sulfate de magnésium serait donné à la mère. Ce médicament traverse le placenta et possède des effets protecteurs pour le cerveau des grands prématurés.

Le seul traitement curatif connu est l’accouchement.

Quel suivi médical après une pré-éclampsie ?
Dans les 6 semaines qui suivent l’accouchement (dans les livres), mais surtout dans les 15 jours qui suivent l’accouchement (dans la pratique) une pré-éclampsie peut s’aggraver ou apparaître.

Un point avec votre gynécologue est nécessaire à 6 semaines, mais si vous avez fait une forme sévère, une consultation spécialisée (obstétricien/médecin spécialisé en grossesse à risque) sera indispensable.

Si on a eu une pré-éclampsie lors d’une première grossesse, a-t-on plus de chances d’en refaire une pour une deuxième ?
Une femme qui a eu une pré-éclampsie à plus de risque de faire une pré-éclampsie (il n’y a pas de chiffres consensuels) ce d’autant qu’elle présente des facteurs de risque vasculaires autres (maladie auto immune, hypertension, diabète, surpoids), ou qu’elle a fait une forme sévère et/ou précoce ou enfin qu’elle a plusieurs antécédents de pré-éclampsie.

Il faut donc être bien suivie pour les prochaines grossesses et idéalement faire un point avec son gynécologue ou médecin spécialisé en grossesse à risque avant de débuter une nouvelle grossesse).

Mais je finis sur une note positive. En effet, 2 points doivent nous rassurer le 1er c’est que la majorité des femmes qui ont fait une pré-éclampsie ne récidiveront pas et le 2ème c’est qu’il existe un traitement préventif, certes qui ne fonctionne pas toujours mais quand même. Ce traitement est l’aspirine à « doses nourrissons » (100 ou 150 mg/j). On n’oubliera pas de prendre de l’acide folique au minimum le mois qui précède la conception et prendre de la vitamine D en cours de grossesse qui pourraient avoir des effets protecteurs contre la pré-éclampsie.

Dr Nadia Berkane
Spécialiste en gynécologie et obstétrique