La découverte de la maternité fut pour le moins éprouvante pour Daphné. Après un accouchement compliqué solutionné par une césarienne en urgence, la jeune maman ressent rapidement de l’inconfort lors de l’allaitement. Non pas des douleurs classiques, mais plutôt des pensées étranges teintées de tristesse, l’envahissant à chaque tétée, tandis que son bébé se nourrit bien. C’est par hasard, au détour de l’écoute d’un podcast, qu’elle comprendra ce dont elle a souffert. Aujourd’hui, Daphné parle de son Réflexe d’Éjection Dysphorique (RED) avec encore une vive émotion. Elle nous raconte.
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Daphné, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Daphné, j’ai 42 ans. Je suis la maman d’Arthur, 2 ans et demi. Je suis en couple avec Antonin, nous sommes ensemble depuis une dizaine d’années. Je travaille dans la communication et je vis à Genève.
Comment imaginais-tu ton allaitement ? Et comment s’est passée la mise au sein ?
A vrai dire, je ne m’attendais à rien. Je savais que ma mère avait rencontré des difficultés à allaiter à la naissance de ses filles. Ainsi, j’ai toujours pensé qu’allaiter pourrait être compliqué pour moi aussi. Je m’étais dit que j’essayerai, sans m’obstiner. La mise au sein c’est super bien passée. Arthur a tout de suite bien pris, en voyant que cela se passait si bien, j’ai donc été agréablement surprise !
Peux-tu nous expliquer ce qu’est le Réflexe d’Éjection Dysphorique (RED) ?
Alors, pour toutes les femmes, chaque fois que l’on met le bébé au sein, se produit ce que l’on appelle le Réflexe d’Éjection de Lait, le REL. En cas de Réflexe d’Éjection Dysphorique (RED), plusieurs ressentis négatifs peuvent survenir au moment de l’éjection du lait : des angoisses, une boule au ventre, une sensation de vide, une grande tristesse, de l’anxiété, et parfois même des pensées suicidaires.
Ces idées et sensations se manifestent précisément au moment de l’éjection du lait. Cela peut durer de trente secondes à deux minutes, ou pendant toute la tétée. C’est un phénomène hormonal encore assez peu compris. Il y a plusieurs hypothèses, dont l’une serait un dysfonctionnement de la dopamine, avec une chute trop intense de cette dernière qui perturbe le cerveau et les hormones.
Cela ne se soigne pas vraiment, il n’existe pas de médicament spécifique. Tout dépend des femmes. Cela peut durer tout au long de la période d’allaitement, mais en général, cela disparaît après deux ou trois mois. La meilleure façon de le gérer est d’en être consciente. Une fois informée, on peut se raisonner et se dire que cela va passer. Certaines femmes optent aussi pour la méditation, la sophrologie, ou des exercices de respiration et de visualisation positive.
À quel moment as-tu commencé à ressentir un malaise en allaitant ? Quels étaient les symptômes ? Disparaissaient-ils à la fin de chaque tétée ?
Dès le départ, j’ai ressenti un mal-être pendant l’allaitement, sans vraiment comprendre pourquoi. Peu à peu, j’ai pris conscience que ces moments étaient empreints de tristesse et de mal-être, que je redoutais et n’appréciais pas. C’était très dur de réaliser – et encore plus de l’exprimer aujourd’hui – qu’alors que j’allaitais mon fils, je m’imaginais ouvrir la fenêtre et sauter. Ces pensées étaient très violentes. Même si elles disparaissaient après l’allaitement, elles laissaient une trace amère et perturbante.
Je ne ressentais pas d’angoisse à proprement parler, mais une profonde tristesse, une sensation de vide. Je n’avais envie de rien, et encore moins d’allaiter. Cela pouvait durer toute la tétée ou seulement pendant l’éjection du lait. C’est très difficile à vivre. Avoir de telles pensées en nourrissant son enfant, c’est profondément douloureux.
Avant de découvrir ce que tu avais, comment se passait ton post-partum ? As-tu pu en parler ? As-tu trouvé du soutien ? Pourquoi ne pas avoir arrêté l’allaitement immédiatement ?
Mon post-partum a été extrêmement difficile. Je trouvais l’allaitement éprouvant (pas pour Arthur, qui tétait très bien, et j’avais beaucoup de lait), et je me sentais profondément triste. J’avais l’impression de ne pas être à la hauteur et de ne pas être épanouie du tout.
Nous avons mis longtemps à avoir Arthur, avec une PMA, et je m’attendais à ce que ce moment soit le plus beau de ma vie. Mais au lieu de cela, je voulais retrouver ma vie d’avant. Je n’étais plus moi-même et je me sentais complètement effacée par mon rôle de maman. Cette absence d’épanouissement était très culpabilisante, car on attend d’une mère qu’elle soit comblée.
J’en ai parlé à ma sage-femme, mais de manière détournée. Je lui mentionnais surtout la douleur, car je n’osais pas dire que cela me déprimait. L’allaitement est souvent présenté comme un moment d’épanouissement et de fusion, mais pour moi, il ne l’était pas. Je ne me sentais pas normale.
Je n’ai pas arrêté l’allaitement immédiatement, car Arthur prenait bien et j’avais beaucoup de lait. Je craignais qu’on me juge comme une mauvaise mère égoïste si j’arrêtais, surtout alors que tant de femmes se battent pour réussir leur allaitement. Cela aurait semblé tellement dommage puisque, techniquement, tout fonctionnait bien.
Comment as-tu compris ce que tu avais ? As-tu été soulagée en apprenant que tu n’étais pas seule ?
J’ai découvert le RED par hasard, en écoutant un podcast de France Inter intitulé In Utero. L’épisode portait sur les changements du cerveau maternel pendant la grossesse. Vers la 12ᵉ minute, j’ai entendu le médecin évoquer le RED. Ce fut une révélation. J’ai tout de suite compris que c’était ce que j’avais vécu. Ce fut à la fois un énorme soulagement et une grande tristesse. Soulagement, car je n’étais pas folle, et tristesse, car si j’avais su, tout aurait pu être différent.
Le RED touche entre 9 et 10% des femmes. C’est énorme ! J’ai été soulagée, triste, mais aussi en colère parce que je ne comprends pas que personne ne m’ait jamais parlé de cela. J’ai suivi des cours de préparation lors de la grossesse, des cours d’allaitement, j’ai été à Arcade Sage-Femme, une sage-femme est aussi venue à la maison, j’ai parlé avec ma gynécologue, j’ai vu une conseillère en allaitement à la clinique où j’ai accouché, puis à l’hôpital où Arthur a été hospitalisé… C’est donc dingue que personne n’ait jamais évoqué le RED.
Et si j’avais su, j’aurais probablement tiré mon lait, car en tirant son lait, le RED est généralement moins fort. Ainsi, j’aurais donné le biberon à Arthur et ces moments, pendant lesquels je nourrissais mon fils auraient été vraiment agréables et de beaux moments et non angoissants et tristes. Comment savoir maintenant quels effets tout ça a eu sur Arthur ? Est ce que ça a fragilisé notre relation ? Est ce qu’il a senti ma tristesse ? J’ai peur de ne pas lui avoir su, ou pu en l’occurrence, donné ce cocon sécurisant et apaisant que toute mère doit apporter à son nouveau né. Quelles sont les conséquences de tout cela sur Arthur? Je ne le saurais probablement jamais…
Comment a évolué ton Réflexe d’Éjection Dysphorique ?
J’ai un souvenir un peu flou, et je ne rappelle pas si le RED a persisté sur le 3e mois, mais lorsque j’ai arrêté l’allaitement, au bout de trois mois, le RED s’est arrêté puisque c’est vraiment lié au réflexe d’éjection.
Comment as-tu vécu l’arrêt de l’allaitement ?
Arthur souffrait de reflux et pleurait beaucoup. On lui a alors donné de l’épaississant avant l’allaitement pour calmer les reflux. Mais le plus simple était de lui donner au biberon un lait anti-reflux déjà épaissi. En essayant, on s’est rendu compte qu’Arthur buvait ce qu’on lui donnait. Peu importait que cela soit mon lait ou un lait en poudre. Donc la décision d’arrêter l’allaitement a été plutôt facile à prendre de ce point de vue-là.
Et si elle n’a pas eu d’impact sur Arthur, elle en a eu un, en revanche, sur moi ! Je me suis sentie tellement mieux ! Antonin était tout à fait d’accord et m’a complètement soutenue dans cette décision. Malgré tout, j’ai trouvé difficile de la prendre parce que j’avais beaucoup de lait, et que tout se passait bien pour Arthur, au delà du reflux. Mais là, c’était ma décision vis-à-vis de moi, de mon bien-être, et j’en ai beaucoup culpabilisé. Aujourd’hui, encore je n’assume toujours pas parce que je trouve que c’est du gâchis. Si j’avais décidé d’arrêter parce que je savais que je souffrais du RED, alors les choses auraient été différentes. Mais je ne le savais pas.
Comment as-tu été soutenue pendant cette période difficile ?
C’est un sujet encore douloureux. Mais globalement, je me suis sentie très seule, pas vraiment comprise. Je n’ai pas du tout réussi à parler à mon entourage de ce que je vivais, je restais assez vague, et n’en ai pas révélé toute l’ampleur. J’avais honte.
Je n’osais pas non plus parler à ma sage-femme de ce que je vivais lors de l’allaitement. Je disais surtout que j’avais mal. Un jour, je lui ai dit que je n’aimais pas allaiter et j’ai vu son regard jugeant. J’ai alors adapté mon discours en évoquant la douleur, car, ça, c’est universel, c’est entendable.
J’ai aussi un peu parlé à une conseillère en lactation à l’hôpital qui a eu un discours très culpabilisant et violent. Elle m’a dit : « Ah mais, si vous n’aimez pas l’allaitement, votre bébé le ressent et doit mal le vivre. Donc vous avez plutôt intérêt à arrêter. ». Il y a un vrai diktat autour de l’allaitement, de la maternité et le fait que la maman doit s’épanouir sans se plaindre. Aujourd’hui, les langues se délient mais on n’en parle pas encore assez.
Quel message souhaites-tu adresser au corps médical pour mieux sensibiliser et accompagner les mères à propos du RED ?
Il faut vraiment que le RED soit abordé lors des cours de préparation à l’accouchement et à l’allaitement. Les sage-femmes doivent en être informées et en parler. Quand on constate une détresse ou un malaise, il faut l’évoquer, il faut que la maman sache que ça existe. Au même titre que les engorgements et la douleur.
Il faudrait plus d’études, car elles sont trop peu nombreuses. On trouve peu de choses sur internet, un peu plus dans la littérature anglophone. Il faut donc en parler pour que la maman soit au courant en amont, et que, si cela lui arrive, elle puisse en parler et trouver des réponses. Et bien sûr, il faut aussi arrêter de culpabiliser les femmes sur l’allaitement, mais ça, c’est un autre sujet !
Daphné, que peut-on te souhaiter de meilleur aujourd’hui pour demain ?
De faire la paix avec tout ça ! D’arriver à en parler sans que cela me touche autant. D’être apaisée et sereine par rapport à ce que j’ai vécu. De me pardonner aussi, car même si je sais que c’est un problème hormonal, j’ai du mal à me pardonner et ne pas culpabiliser. Je voudrais donc aller de l’avant, et repenser à tout cela avec sérénité et bienveillance.
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