En Suisse, selon l’office fédéral de la statistique, 9% de femmes et d’hommes entre 20 à 29 ans ne veulent pas d’enfants. Les raisons invoquées sont un frein à la carrière professionnelle, l’écologie, la peur d’un avenir incertain ou simplement l’envie d’un mode de vie différent. Est-ce qu’avoir des enfants est une garantie au bonheur et à l’épanouissement ? Bien sûr que non, mais c’est une décision parfois difficile à comprendre et à accepter car elle sort du schéma familial classique. Pour la première fois chez MotherStories, nous avons interviewé une femme de 35 ans qui assume de ne pas vouloir d’enfants. Vous serez sûrement surprises par cette story. Peut-être, trouverez-vous qu’elle n’a pas sa place sur notre site. Pourtant, cette #womanstory nous prouve qu’il n’y a pas un modèle « type » de vie heureuse. Il y a autant de femmes que d’histoires, autant de mamans que de maternités et c’est bien cette diversité qui est intéressante et enrichissante. Aujourd’hui, en toute transparence et bienveillance, nous vous racontons l’histoire de Jasmina.
Jasmina, peux-tu te présenter en quelques mots ?
J’ai 35 ans et je suis née à Genève. Ma vie professionnelle m’a emmenée à Paris il y a 10 ans dans le domaine de la mode avant de m’orienter vers le management et le marketing dans des marques de cosmétiques. Aujourd’hui, j’ai la chance de travailler à temps partiel et en profite pour me former sur des sujets qui m’intéressent comme la méditation en pleine conscience et l’aromathérapie. Sinon côté cœur, je suis en couple depuis 2 ans et demi et avant cela j’ai eu une longue relation de 16 ans.
Depuis quand as-tu la certitude que tu n’auras pas d’enfants ?
Je ne sais pas si on peut parler d’une certitude. Je pense que j’ai toujours eu une vision large de ce qu’est être parents, dans le sens où pour moi c’est avant tout offrir un cadre qui permette à l’enfant de s’épanouir et lui transmettre des valeurs. Dans cette définition, nous pouvons ne pas avoir ce rôle uniquement avec nos enfants biologiques mais auprès d’enfants qui nous entourent.
Quelles sont tes raisons ?
Un constat plutôt inquiet/anxieux face aux changements climatiques et les actions timides que nous (gouvernements, citoyens et entreprises) mettons en place. Je pense que j’ai une forme d’angoisse face à cet avenir très incertain et ne me sens donc pas sereine de contribuer à une démographie qui malheureusement contribue à épuiser la nature et ses écosystèmes.
Est-ce que petite tu te projetais maman ? N’as-tu jamais ressenti l’instinct maternel ou la fameuse horloge biologique se mettre en route ?
Ah oui ! Petite je me voyais maman. Je me voyais même maman jeune car ma mère m’a eu à 22 ans. Je reste bien entendu une femme qui a un cycle, des variations hormonales qui vont avec et toute la biologie qui nous est propre et j’ai ressenti dans ma vie l’envie d’avoir des enfants. Ma décision est avant tout rationnelle et écologique. Si nous vivions à une autre époque ou dans un contexte radicalement différent je pense que j’aurais voulu avoir des enfants pour leur transmettre nos traditions familiales, nos histoires, nos passions, nos « biens » … mais aujourd’hui, dans le contexte que nous connaissons, je fais le choix de partager cela avec des personnes qui ne me sont pas forcément reliées biologiquement.
Est-ce que ton compagnon et toi êtes d’accord sur ce sujet ? Comment l’avez-vous abordé ? S’il en voulait, serait-ce un motif de rupture ?
Il est d’accord avec moi, il est d’ailleurs plus ferme sur ce point et ne se projette pas en tant que futur parent n’ayant pas l’envie ni le besoin. Je suis moins radicale dans ma position même si nous partageons parfaitement les raisons écologiques de ce choix. Et nous sommes tous les deux ouverts à l’idée d’adopter plus tard si un grand changement dans nos vies fait que l’un de nous ressent l’envie d’être parent ou pourquoi pas être un foyer d’urgence pour des ados en rupture. Il est clair que dans ce cas une discussion au niveau du couple s’imposera et que la situation, les envies et les besoins de chacun devront être partagés avant qu’une décision soit prise.
Comment te projettes-tu dans 30 ans ? La solitude de vieillir sans enfants ne te fait pas peur ? De ne pas laisser une trace, un héritage ?
Dans 30 ans, je m’imagine bien tenir une maison d’hôte type agritourisme où je recevrais des gens avec qui je partage les mêmes valeurs et les mêmes passions pour la cuisine, la nature, le fait-main… J’aurais en somme une grande famille de tous âges autour de moi. C’est déjà le cas aujourd’hui puisque je me lie d’amitié tant avec des personnes qui auraient l’âge d’être mes parents tout comme des personnes bien plus jeunes que moi. Je ne conçois pas les enfants comme étant « une trace », ce serait très possessif et leur nier leur individualité. Je me vois vivre ma vie pleinement et léguerai mes « biens » à des personnes qui ont compté pour moi et avec qui j’ai partagé des moments chers.
Quelle est la réaction de ton entourage face à ton choix ?
Pour être honnête, je ressens une forme d’inquiétude, une crainte que je passe à côté de quelque chose de merveilleux.
Si tu tombais enceinte par accident, est-ce que cela pourrait te faire changer d’avis ?
Cela me ferait très certainement changer d’avis car je m’imagine mal avorter d’un enfant qui serait le fruit d’un amour. Ce serait par contre notre seul enfant et il serait très important pour moi de le faire grandir dans le respect de la nature et le sensibiliser à la réalité écologique à laquelle nous devons faire face tout en essayant de ne pas lui transmettre mon angoisse.
Il n’y a pas une voie de vie épanouie mais autant de possibilités que de personnes.
Penses-tu qu’avoir un enfant et donner la vie est une finalité ou une condition pour être une femme épanouie ?
Je pense que pour être une personne épanouie, on doit avant tout être bien avec soi-même. Il va donc de soi que pour moi la finalité d’une vie épanouie n’est pas de trouver un partenaire ni d’avoir des enfants. J’espère que mon témoignage peut contribuer à rendre visible une autre réalité de vie épanouie.
Penses-tu que la société impose aux femmes d’avoir des enfants ?
Je ne sais pas si nous sommes poussé.e.x.s à cela et je n’oserais pas dire que les personnes qui ont des enfants le font sans réfléchir. Mais je pense par contre que nous avons grandi avec un modèle du couple hétérosexuel marié, avec papa qui travaille et maman qui a mis sa carrière en suspens, avec la maison (et un crédit qui va avec), la voiture et les enfants… beaucoup de mes connaissances sont issu.e.x.s de ce schéma familial et nous l’avons accepté comme Le modèle à suivre mais il y a autant de réalités que de personnes. Il me semble donc important que des plateformes comme la vôtre rendent visible cette pluralité de scénarios de vie heureuse.
Pour ma part, je suis épanouie et en couple mais nous ne sommes pas dans l’urgence de vivre tout de suite sous le même toit ni de nous marier et nous ne souhaitons pas avoir d’enfants. Mais nous avons plein de projets communs qui font la richesse de notre relation mais c’est moins conventionnel et peut-être plus abstrait pour des personnes qui ont reproduit un schéma plus classique (à commencer par la génération qui nous précède).
As-tu des enfants (filleuls, nièces, enfants d’ami.e.x.s, etc.) autour de toi avec qui tu aimes passer du temps et pour qui tu t’investis ?
Oui j’ai plusieurs enfants autour de moi avec qui j’aime partager des moments. J’adore bricoler, jardiner, cuisiner donc j’ai toujours des idées d’activités à faire avec eux.
« C’est bientôt votre tour ? A ton âge tu devrais congeler tes ovocytes ! Tu vas regretter… »
Quelle question déplacée te pose-t-on souvent ?
« C’est bientôt votre tour ?», « A ton âge tu devrais congeler tes ovocytes », « Tu vas regretter » … Bien que je trouve ces propos déplacés, j’essaie toujours de me rappeler qu’ils partent d’une intention bienveillante.
Quel conseil donnerais-tu aux femmes qui ne souhaitent pas avoir d’enfants mais n’osent pas l’assumer ?
Plus qu’aux femmes qui ne souhaitent pas avoir d’enfants, j’aimerais inviter toutes les personnes qui nous lisent de contribuer à visibiliser la pluralité des vies épanouies que nous menons, avec ou sans enfant, en couple ou non, etc… ces réalités ne sont pas binaires mais infinies et toutes autant « valables ». Il n’y a pas une voie de « vie épanouie » mais autant de possibilités que de personnes.
Jasmina, que peut-on te souhaiter de meilleur aujourd’hui pour demain ?
Pour demain, je nous souhaite une société plus ouverte et bienveillante, consciente de la force que représentent nos différences.
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