PMA, post-partum, infertilité : et si on se réappropriait notre sexualité ?

À travers la PMA, l’infertilité ou le post-partum, la sexualité est souvent mise à l’épreuve. Elle devient silencieuse, contrainte, reléguée au second plan. Et pourtant, elle reste un pilier intime, un espace à réinventer. Nous avons rencontré Clara, psychologue et sexologue au CPMA de Lausanne, qui accompagne au quotidien des femmes et des couples dans ces moments charnières. Dans cette conversation sans tabou, elle nous invite à redonner du sens à la sexualité – non pas comme une fonction, mais comme un langage du corps et du cœur.

Clara, sexologue au CPMA de Lausanne, accompagne les femmes et les couples pour repenser la sexualité en dehors de la maternité, avec bienveillance et douceur.

Clara, pourquoi la sexualité reste-t-elle si liée à la reproduction dans notre culture ?
Parce que c’est le discours qu’on nous transmet dès l’enfance : la sexualité est d’abord un moyen de faire des enfants. C’est une approche très utilitaire, biologique, presque mécanique. Et cette vision laisse peu de place à d’autres dimensions pourtant fondamentales : le plaisir, l’émotion, l’exploration, la curiosité, l’intimité. Résultat : on grandit avec cette idée que la sexualité a une fonction, qu’elle sert un but. Cela peut entraîner beaucoup de blocages, voire une culpabilité liée à des désirs ou à des envies qui sortent de ce cadre.

Ce conditionnement a aussi des répercussions sur la façon dont on explore son corps, son rapport au plaisir ou à la relation. Pour certaines personnes, il devient difficile d’envisager la sexualité autrement qu’à travers une logique de « performance” ou de « résultat ». Pourtant, la sexualité, c’est aussi un espace vivant, libre, relationnel, ludique. La redéfinir, c’est souvent une étape essentielle pour se reconnecter à soi.

Dans cette logique, un rapport sexuel est souvent réduit à la pénétration. Est-ce problématique ?
Oui, et cela peut être très pesant. Dans beaucoup de contextes, la sexualité est associée presque exclusivement à l’acte pénétratif. C’est une vision extrêmement réductrice qui efface toute une palette d’expériences sensorielles, affectives, émotionnelles. Et dans un cadre comme celui de la fertilité, cette réduction prend encore plus de poids : le rapport sexuel devient un outil, un devoir, une pression.

Ici au CPMA, je vois régulièrement des couples qui vivent leur sexualité comme une course contre la montre, une tâche à accomplir au moment « idéal ». C’est dur, car cela coupe la connexion. Le plaisir s’efface, les émotions sont mises de côté. Pour beaucoup, la sexualité devient une obligation, une mécanique. Et ça crée de la frustration, du mal-être, parfois même un éloignement entre partenaires.

Réapprendre que la sexualité peut prendre mille formes, qu’elle peut se vivre différemment – par un regard, une caresse, un moment tendre – est un vrai soulagement pour de nombreux couples.

Quand un diagnostic d’infertilité tombe, qu’est-ce que cela provoque dans l’intimité du couple ?
C’est un séisme émotionnel. Il y a d’abord un choc, puis viennent la tristesse, la culpabilité, le sentiment d’injustice, de ne pas être « capable ». Cela touche profondément l’image de soi, l’estime personnelle, le rapport au corps. Que le diagnostic concerne l’un ou l’autre, l’impact se fait sentir dans les deux directions. C’est l’intimité du couple qui en est bouleversée.

Les couples que je rencontre me parlent souvent d’un avant et d’un après. Avant, la sexualité était spontanée, libre, joyeuse. Après, elle devient planifiée, sous tension, et parfois absente. Ce qui aide, c’est d’ouvrir un espace où l’on peut déposer ce que l’on vit, ce que l’on ressent. Pouvoir nommer les choses, oser parler de ce qui change, de ce qui fait mal, permet déjà de retrouver un peu de liberté, un peu d’air. Et peu à peu, de réinventer la sexualité comme un lieu de tendresse, d’inventivité, de complicité.

Comment les traitements de PMA affectent-ils la vie sexuelle ?
Les protocoles de PMA modifient profondément la temporalité du couple. Faire l’amour devient une action ciblée, soumise à un calendrier, à des injonctions de résultat. Pour certains, la sexualité s’efface sous le poids de la logistique médicale. La fatigue émotionnelle, le sentiment d’échec, la peur de mal faire, tout cela peut rendre l’intimité difficile à préserver.

Mais ce n’est pas toujours négatif. Certains couples vivent les traitements comme un soulagement. Comme si le fait de « déléguer » la fertilité à l’équipe médicale leur permettait de relâcher la pression. Cela leur redonne une liberté, un souffle. La sexualité reprend alors une fonction de lien, de plaisir, sans objectif à atteindre.

Chaque couple est différent. Il n’y a pas de bon ou de mauvais vécu, mais il est important de savoir que toutes ces réactions sont valides.

Dans un tel contexte, est-il encore possible de préserver le désir, le plaisir ?
Oui, mais cela demande une redéfinition. Il ne faut pas chercher à sauver le désir à tout prix, comme une obligation de plus. Parfois, le désir est en pause, et c’est ok. Ce qu’il est important de maintenir, c’est le lien. L’intimité, dans les gestes du quotidien. Un regard, une main posée, un mot doux. La sexualité peut se réinventer dans ces instants-là.

Je dis souvent aux couples qu’il n’y a pas besoin de « faire » quelque chose. Être ensemble, c’est déjà exister dans le lien. La sexualité peut être douce, ludique, tendre, non genrée, non codifiée. Elle peut juste être un moment partagé, sans objectif.

Et après un accouchement, pourquoi est-ce parfois si difficile de « reprendre » une vie sexuelle ?
Parce que rien n’est comme avant. Le corps a changé, les repères aussi. La fatigue est immense, les priorités sont ailleurs. On ne se reconnaît plus toujours dans son corps, dans ses envies, dans son énergie. Et il y a une forte pression sociale pour « reprendre une sexualité normale », comme si c’était un indicateur de bonne santé du couple.

Mais il n’y a pas de norme. Chaque femme est différente, chaque histoire est unique. Ce qui est important, c’est de pouvoir s’écouter, de sentir ce qui est juste pour soi. La sexualité ne reprend pas forcément par la pénétration. Elle peut renaître par une étreinte, un geste tendre, une complicité retrouvée. C’est un nouveau chapitre, pas un retour en arrière.

Comment les partenaires vivent-ils cette période ?
Souvent, on pense que seul le corps de la femme est concerné, mais les hommes aussi peuvent se sentir déstabilisés. Ils sont parfois en retrait, parfois perdus face aux transformations de leur compagne. Certains ne savent pas comment réinvestir l’intimité, ont peur de mal faire ou de forcer. C’est une période où le couple est à redéfinir, dans ses rôles, dans ses attentes, dans sa communication.

Le dialogue est essentiel. Pouvoir dire « je ne sais pas comment faire », « je ne me sens pas prête », ou au contraire « j’aimerais qu’on se retrouve », c’est déjà poser un cadre d’écoute. Et cela évite bien des malentendus.

Quel est le poids du non-dit ou de la comparaison avec les autres ?
Il est énorme. L’un des ressentis les plus fréquents, surtout chez les femmes en parcours de fertilité, c’est l’injustice face aux autres qui tombent enceintes « facilement ». C’est très douloureux, car elles veulent se réjouir pour leurs proches, mais n’y arrivent pas toujours. Et cela les isole.

Je leur dis souvent que ces émotions sont normales. Ressentir de la jalousie ne fait pas d’elles de mauvaises personnes. C’est juste un trop-plein de tristesse. En parler, oser nommer ces tensions, peut vraiment alléger le poids intérieur.

Et que conseillerais-tu aux femmes enceintes qui souhaitent annoncer leur grossesse à une amie en parcours de PMA ?
Je leur dirais d’oser l’authenticité. Il est possible d’annoncer la nouvelle avec douceur, sans cacher, mais en montrant qu’on est consciente que cela peut être douloureux. Par exemple : « Je sais que ce que je vais te dire est délicat, et je veux le faire avec tendresse. Je pense à toi, et je suis là. » Le plus important, c’est de reconnaître la réalité de l’autre. Cela crée un espace d’écoute et de respect, au lieu d’un malaise.

Et enfin, quel message aimerais-tu transmettre à toutes les femmes que tu accompagnes ?
Je leur dirais : vous êtes exactement comme vous devez être, ici et maintenant. Ce que vous ressentez est légitime. Chaque étape – le désir d’enfant, un parcours de PMA, le post-partum – mérite d’être vécue avec douceur, respect et écoute.

Vous avez le droit à une sexualité qui vous ressemble, qui vous fait du bien, sans pression ni norme à atteindre. Et parfois, tout commence simplement par un peu plus de bienveillance envers soi-même.

En savoir plus sur le CPMA – Centre médical de fertilité à Lausanne
Au CPMA (Centre de Procréation Médicalement Assistée) à Lausanne, Clara travaille en synergie avec Laure de Jonckheere, conseillère en santé sexuelle et reproductive, également sexologue. Ensemble, elles proposent des consultations dédiées aux femmes, aux hommes et aux couples, pour aborder en toute confiance les questions de désir, d’intimité, de plaisir et de fertilité.

Elles s’intègrent dans une équipe pluridisciplinaire composée de médecins gynécologues, endocrinologues, biologistes, psychologues, andrologues et sages-femmes. Leur mission commune : offrir un accompagnement global, humain et bienveillant à chaque étape du parcours de fertilité, dans un cadre confidentiel et sans jugement.

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