Nous sommes convaincues qu’il est impératif de lever les tabous qui entourent la maternité. Grâce à vos témoignages, vous offrez un soutien précieux à toutes les femmes qui traversent ou ont traversé une épreuve similaire sans oser en parler. Merci pour elles, merci à vous.
Témoignage de Jeanne Cuendet
“Mon histoire de maman a commencé en août 2016. Avec mon mari, on se sent prêt à fonder une famille, youpi, allez, on se lance ! La vie ne nous laisse pas le temps de patienter, en septembre je suis déjà enceinte. Après 4 mois de nausées super violentes, la grossesse se passe bien. Semaine 28, mon col est trop court, semaine 31 il est complètement effacé. On craint un accouchement prématuré. Je dois faire des injections de corticoïdes pour faire maturer les poumons de mon bébé pour qu’il puisse, si il devait sortir, respirer de lui-même. Je reste couchée jusqu’à mon terme… On détecte aussi des incohérences cardiaques du bébé lors des monitorings. On doit surveiller cela de près, une sage-femme vient à mon domicile tous les jours. Malgré tout ça, ma fille reste au chaud jusqu’à la semaine 38. Comme elle est en siège, on programme une césarienne. Mais lors d’un énième contrôle de son cœur, avec un ralentissement très important (58 battements/min contre les 130 pour un fonctionnement normal), je pars en césarienne d’urgence. Personnellement, j’ai bien vécu cette intervention, qui aurait pu être très traumatisante. J’ai eu la chance d’être préparée à l’avance au fait d’avoir une césarienne. Je savais à quoi m’attendre, je m’étais préparée au fait que mon bébé allait partir avec son papa une fois sorti, le temps qu’on me recouse (45 min quand même, c’est long). Je suis même très heureuse pour mon mari qu’il ait pu avoir ce moment privilégié avec notre fille (même si elle essayait de le téter et qu’elle avait ses poils partout). Aujourd’hui, notre fille Elia est en pleine forme ! Les médecins n’ont détecté aucun problème à sa sortie, on ne saura jamais à quoi étaient dû ses ralentissements cardiaques.
Phase deux, bébé deux :
On a toujours voulu des enfants rapprochés. Une année après, on remet ça. On n’est pas sûr d’être prêts, mais l’est-on un jour ? On fait confiance à la vie. Septembre 2018, j’ai du retard. On fait un test, je suis enceinte, on est tout excités. Cinq jours plus tard, je suis au travail et je ne me sens vraiment pas bien, comme quand j’ai une gastro. Je dois d’ailleurs vomir, mais rien ne sort. Je dois me coucher, j’ai chaud, j’ai froid, je tremble, je transpire, ça ne passe pas. Je décide de rentrer chez moi, à une heure et demi de route. En partant, je passe encore une fois aux toilettes et je perds du sang. Je sais, à ce moment-là, que quelque chose ne va pas. Comme je ne suis pas en état de rentrer, je décide de me rendre à l’hôpital le plus proche qui est à 20 minutes de route de mon travail. Je dois m’arrêter deux fois en route. Je suis mal, j’ai peur… Aux urgences, je leur dis directement que je pense être en train de faire une fausse couche. La gynécologue me fait une échographie mais elle ne voit rien. Elle me demande si je suis vraiment sûre d’être enceinte. Elle me refait un test, oui, je suis bien enceinte. Elle me fait ensuite une prise de sang puis me renvoie chez moi, à une heure et demie de route ! Je suis en peu surprise vu mon état alors elle me prescrit des anti-vomitifs et des calmants. Super, maintenant en plus d’être hyper mal et apeurée, je suis également shootée ! J’appelle mon mari pour qu’il vienne me chercher en train depuis son lieu de travail qui est à deux heures d’ici et j’attends seule dans ma voiture. Je dois retourner deux jours après pour refaire une prise de sang et comparer les résultats. Il y a trois possibilités :
- La grossesse est trop précoce pour qu’on puisse voire quelque chose à l’échographie, dans ce cas le taux d’hormones devrait avoir doublé.
- Je fais une fausse couche, dans ce cas le taux d’hormones devrait descendre.
- Je fais une grossesse extra-utérine, dans ce cas le taux d’hormones stagne ou monte faiblement.
Je rentre donc chez moi avec mon mari. Je ne saigne plus. Le lendemain, je suis super en forme. Très optimiste, je me dis que ce n’est rien de grave puis soudain, l’après-midi, j’ai des énormes douleurs au ventre. Je me rends aux urgences où l’attente est très longue. Après un premier examen hyper douloureux, on constate que mon ventre est rempli de sang mais aucun verdict n’est encore posé. Changement de personnel. Nouvelle attente. Je sais maintenant que je suis en train de faire une hémorragie interne, je suis super mal, mais on me laisse attendre tranquillement sans même me donner d’antidouleur. Nouvel examen gynécologique, tout autant douloureux et de nouveau de l’attente. Je n’ai toujours pas mangé, ni bu et je dois rester à jeun « au cas où ». Toujours pas de réel verdict mais on soupçonne vraiment une grossesse extra-utérine. Finalement, on décide de me garder pour la nuit afin de refaire encore des comparaisons de prises de sang et un point le lendemain. Mais, je sens bien que le personnel est stressé, ils viennent me contrôler tout le temps, impossible de dormir. Puis le médecin m’annonce qu’il n’est pas tranquille (j’avais remarqué merci) et qu’il a convoqué le médecin chef. Celui-ci m’ausculte et son verdict est direct, on part au bloc tout de suite ! On m’a fait une laparoscopie sous anesthésie générale, deux petites entailles sur les cotés et une sur le nombril afin d’évacuer tout le sang de mon ventre et de « vider » et recoudre ma trompe. En effet, le fœtus s’était développé dans la trompe, ce qui n’était pas viable, ni pour lui, ni pour moi. Suite à ça, j’ai dû faire des prises de sang régulières pour contrôler que le taux d’hormones redescende complètement. Chez moi, il stagnait : problème ! On m’a refait des examens (toujours autant douloureux). Il y avait encore des « restes » dans mon utérus, malgré le curetage. Mon corps ne comprenait donc pas que je n’étais plus enceinte et continuait à produire des hormones de grossesse. J’ai dû faire une piqûre de méthotrexate, produit très violent équivalent à une chimiothérapie pour faire cesser les cellules de se développer. Nouveaux examens, toujours autant douloureux. Un cauchemar ! Deux semaines après l’opération, j’avais de nouveau le ventre plein de sang. Je n’en pouvais plus. J’ai dû refaire encore une deuxième cure de méthotrexate. Mon corps ressemblait à une passoire. Entre les trois cicatrices de l’opération, les prises de sang tous les deux jours pendant presque deux mois et les injections… Cette période a été terrible pour moi. J’avais mal en permanence. Je n’ai pas eu de compassion du personnel et les examens étaient sans fin et très douloureux. J’étais tellement mal physiquement que c’était dur de faire le deuil de ce petit bébé… Mon mari a dû tout gérer et courir dans tous les sens, il était aussi épuisé. Je ne pouvais pas porter notre fille à cause des cicatrices et de l’hémorragie et elle ne comprenait pas pourquoi. Elle était très inquiète de voir sa maman toujours fatiguée et couchée, au bout du rouleau. Ce n’était pas simple. Finalement, tout est redevenu dans l’ordre et on a eu la chance d’être très entouré par nos familles. On n’aurait jamais tenu le coup sans eux.
Phase trois, bébé trois :
Février 2019, nous décidons d’arrêter de nous protéger. Et, à nouveau, je tombe enceinte directement ! Le fœtus est bien placé, son petit cœur bat, tout se présente bien. Mais, très vite, comme lors de ma première grossesse, les nausées me reprennent. Je suis terriblement mal pendant les trois premiers mois. Et cette fois-ci, j’ai une petite fille à gérer, donc moins de possibilités de me reposer ou de m’isoler. Je sens également que mon mari s’épuise, c’est difficile. Et tout d’un coup, miracle, les nausées s’arrêtent ! On a passé le fameux cap des trois mois, tout se passe bien et j’ai de nouveau plein d’énergie. On est soulagés. On passe une très bonne semaine et on se réjouit de notre échographie planifiée la semaine suivante. Je vais m’acheter des vêtements de grossesse, j’arrive enfin à me projeter et à me réjouir de ce projet en route. Dans la matinée du samedi, je vois des tâches marrons dans ma culotte. En fin d’après-midi, ça devient rouge, mais c’est juste quelques mini gouttes. Je me dis qu’il est peut-être mieux de faire un contrôle afin de ne pas être stressée les jours suivants car j’ai une grosse semaine et n’aurais pas la possibilité d’aller voir mon gynécologue. On fait garder notre fille et on se rend aux urgences, réellement dans l’idée d’un simple contrôle de routine pour nous rassurer.
On me fait une échographie et le médecin ne fait que de nous parler de ma vessie qui est pleine… Je me dis tout de suite qu’il y a un souci car sinon il nous aurait déjà rassuré en nous disant que le bébé allait bien. Là, il tournait autour du pot en me parlant de ma vessie et ça a duré une éternité il me semble. On ne voyait pas l’écran. Puis il a dit : « je vais vous montrer ». Mon mari, qui était assis, s’est levé pour se rapprocher de moi et me prendre la main. Le médecin a tourné l’écran vers nous et de nouveau, nous a montré ma vessie, (grrr), avant de zoomer sur un fœtus inerte, qui n’avait aucun mouvement. Le cœur s’était arrêté, apparemment déjà en sa 9 (on était en sa 15). Mon mari s’est senti mal, il a dû s’asseoir. Moi j’étais choquée. Habitués aux échographies de notre fille où tout saute dans tous les sens, où on voit le cœur battre et de la vie, cette image inerte d’un fœtus déjà complètement formé était extrêmement violente. Je ne l’oublierais jamais. On ne s’y attendait pas, on était tellement confiants. Et mon ventre qui commençait à grossir, et ces trois mois d’enfer qui étaient derrières, tout ça pour ça… Impossible à réaliser. Puis, on nous a laissé deux choix : faire un curetage la semaine suivante ou prendre un médicament pour « expulser » le bébé. Rien n’était pressant, on avait le temps selon les images qu’avait vues le médecin. On a opté pour le curetage. On est rentré à la maison, penauds, sans comprendre ce qui nous arrivait, avec encore ce fœtus mort à l’intérieur de moi. Mais au milieu de la nuit, mon corps a décidé de faire le travail tout seul. J’ai eu des contractions, très violentes et de plus en plus rapprochées, j’ai commencé à perdre beaucoup de sang et des caillots. On est donc retourné illico aux urgences et là, ça a été terrible, long et douloureux. J’étais sur une table, les pieds sur les étriers à souffrir comme une folle pour « expulser la matière » selon les termes ultra violents des médecins et du personnel. Ils m’ont gardée à l’hôpital pour vérifier que je ne fasse pas d’hémorragie et pour expulser ce qu’il restait encore. Mais, plus rien ne sortait et je n’avais plus de contractions. On m’a donc donné des médicaments pour provoquer des contractions mais elles n’ont servi à rien, à part à me faire souffrir alors que je n’avais plus rien à expulser. Le médecin ne venait pas contrôler, on me redonnait à la chaîne ces médicaments. Ça a duré un jour entier et je n’avais rien pu boire ni manger depuis plus de 30h au cas où je faisais une hémorragie et devais monter au bloc en urgence. J’avais fait une nuit blanche, je n’en pouvais plus. Une torture. Finalement j’ai dû exiger de voir un médecin pour qu’il constate que tout était déjà dehors. On était dimanche soir. Le médecin m’a dit : « c’est tout bon, vous pouvez rentrer chez vous et retourner travailler demain. » Je n’avais pas dormi depuis 48h, j’étais juste épuisée et complètement déprimée, je venais de perdre un enfant. J’ai cru rêver. J’ai dû le supplier pour avoir deux jours d’arrêt… Et quand l’infirmière est venue me chercher et a demandé au médecin si elle pouvait enfin me donner à manger, il a répondu : « elle n’aura qu’à manger chez elle en arrivant mais vous pouvez lui servir un thé. » Le monde médical a vraiment tendance à minimiser l’impact de telles expériences chez les patientes et leur famille. Il utilise des termes barbares et n’offre aucun soutien psychologique.
En tant que futurs parents, on est bien conscients que les débuts de grossesse sont compliqués et qu’il y a beaucoup de fausses couches mais ça ne nous empêche pas d’en souffrir physiquement et psychologiquement. On n’est jamais préparé à ça même si on nous prévient. J’ai été vraiment choquée par le manque d’empathie du service médical.
Je voulais aussi souligner le fait qu’on a souvent tendance à se soucier de la femme, car c’est elle qui porte l’enfant dans son corps et qui ressent les souffrances physiques mais l’homme souffre tout autant et a lui aussi besoin d’aide. Les gens l’oublient parfois.
Je profite de remercier mon mari pour son soutien durant ces épreuves. Tout notre équilibre de couple et de famille a été chamboulé et ça a vraiment été compliqué. Merci de croire en nous et en notre famille. Un jour, elle s’agrandira, j’en suis sûre !”
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