Aujourd’hui, MotherStories ouvre une nouvelle thématique : le rôle de belle-mère. Un sujet que nous n’avions encore jamais exploré et qui touche pourtant tant de familles recomposées. Un rôle discret, délicat, essentiel… parfois ingrat aussi. Trouver sa place dans une histoire déjà commencée demande du tact, de l’amour et beaucoup de patience. Pour l’aborder, Julie nous partage son parcours avec sincérité : elle a rencontré son mari à 24 ans… et son fils de 8 ans en même temps.

Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Julie, j’ai 33 ans, j’habite à Genève et je suis maman de deux petits garçons de deux ans et bientôt quatre ans. Je suis aussi belle-maman d’un garçon de 17 ans. Je travaille dans la communication digitale en indépendante : j’accompagne les entrepreneurs à créer une newsletter qui a de l’impact et qui leur ressemble. J’ai également une deuxième casquette : j’anime des ateliers d’écriture intuitive, en individuel ou dans des retraites bien-être.
Comment as-tu rencontré ton mari, et à quel moment as-tu découvert qu’il était déjà papa ?
Nous nous sommes rencontrés il y a neuf ans et cela fait deux ans que nous sommes mariés. À l’époque, j’avais un job d’été chez H&M et lui était manager, mon manager. Nous avons travaillé une année ensemble sans qu’il ne se passe rien, puis nous nous sommes rapprochés. Au départ, je n’imaginais pas me mettre avec quelqu’un comme lui : il a 14 ans de plus que moi (j’avais 24 ans, lui 38) et je savais depuis le début qu’il était papa. Il parlait souvent de son fils, qui venait parfois au magasin. Ce n’était donc pas quelque chose que j’envisageais.
Te souviens-tu de ta première rencontre avec son fils ? Qu’as-tu ressenti ?
Oui, très bien. À l’époque, nous vivions une relation à distance : moi à Barcelone, lui à Genève. Un week-end sur deux, nous nous retrouvions. Un week-end où je suis rentrée à Genève, il avait son fils. Il travaillait la journée et m’a proposé que nous passions la journée ensemble pour faire connaissance. Comme son appartement était trop petit, nous avions réservé un Airbnb pour que chacun ait sa chambre et soit à l’aise. Je l’ai emmené au Musée d’art et d’histoire pour dessiner. Il était très excité, un peu foufou. Je ne savais pas vraiment s’il comprenait qui j’étais par rapport à son papa, mais nous avons passé une très bonne journée, balade au bord du lac incluse. C’était touchant, un peu étrange aussi : je ne savais pas encore comment me positionner. Mais j’étais contente d’être avec lui.
À 24 ans, devenir belle-maman d’un enfant de 8 ans avant d’être mère : qu’est-ce que cela a remué en toi ?
À 24 ans, je n’avais jamais imaginé cela. Ce n’était pas dans mes plans ni dans mes « critères ». On ne s’attend pas à rencontrer quelqu’un qui a déjà eu une première vie. Ce qui m’a le plus chamboulée, c’était d’accepter qu’il avait eu une histoire avant moi, un vécu, et que son fils en faisait pleinement partie. Cela ramenait constamment le passé, et c’était déstabilisant.
Qu’est-ce que « partager son partenaire avec un enfant déjà là » signifiait pour toi au quotidien ?
Mon mari avait son fils un week-end sur deux, les mercredis et une fois sur deux pendant les vacances scolaires. La semaine, nous avions notre vie à deux, sauf le mercredi où il s’occupait de lui. Un week-end sur deux, son fils était avec nous. Parfois, il venait aussi dormir en semaine. Je savais qu’un samedi par mois, c’était moi qui m’en occupais, car mon mari travaillait. Je l’ai fait naturellement, jamais comme une obligation ou comme une baby-sitter : il faisait partie de notre famille. Je n’ai jamais eu de difficulté à partager mon partenaire, car nos temps étaient distincts et respectés.
Comment s’est construit ton lien avec lui ? Y a-t-il eu des étapes clés ?
Le lien s’est construit rapidement. Il m’a acceptée tout de suite, sans tension. Comme je m’occupais souvent de lui les samedis, nous passions beaucoup de temps ensemble. Il parle peu, alors j’essayais de créer la discussion. J’ai grandi dans une famille très aimante, et je voyais que lui n’avait pas la même relation avec sa mère. J’avais envie de lui transmettre un peu de ce que j’avais reçu. J’étais pour lui un peu comme une grande sœur, et il se confiait parfois plus facilement à moi qu’à son père. Je faisais souvent l’intermédiaire.
Les étapes clés ont été la naissance de mon premier fils, où j’ai pris une posture plus adulte, presque maternelle ; puis la maladie de mon beau-fils, il y a deux ans, lorsqu’il est tombé gravement malade et a été paralysé. Il a été hospitalisé quatre mois. Nous allions le voir chaque jour, l’accompagnions en physio, lui tenions compagnie. Cela a énormément renforcé notre lien. D’ailleurs, quand j’ai appris que j’étais enceinte de mon deuxième fils, il a été la première personne mise au courant.
As-tu rencontré des difficultés dans ton rôle de belle-mère ?
Pas spécialement. Parfois, adolescent, il m’a mal parlé ou avec un certain dédain. Dans ces moments-là, son père intervenait immédiatement. Moi, j’ai plus de mal à réagir. Au début, la vraie difficulté, c’était d’être prise au sérieux. J’étais jeune et nous avions une ressemblance physique (blonds, yeux bleus), donc on me prenait souvent pour sa grande sœur. Dans l’entourage de mon mari, certains pensaient que je n’allais pas rester et que cela risquait de perturber son fils.
Le fait d’avoir déjà un beau-fils a-t-il influencé ton désir de maternité ?
Non. J’ai toujours eu un fort désir de maternité et c’était clair dès le début avec mon mari. Avoir un beau-fils ne m’a pas remise en question : c’est très différent d’arriver dans la vie d’un enfant de huit ans que d’avoir un bébé. Au contraire, cela m’a donné envie d’avoir un enfant, et j’avais envie de voir quel grand frère il serait.
Quand tes fils sont nés, est-ce que cela a transformé ta relation avec ton beau-fils ?
Oui. La naissance de mes fils m’a donné une posture plus adulte, plus « maman », une forme d’autorité naturelle. Cela m’a fait grandir dans mon rôle. De son côté, il est passé de fils unique à grand frère. On a fait attention, mais parfois il plaisante en disant : « Je suis l’esclave de mes frères ! ». Il a 13 et 15 ans d’écart avec eux, ce qui lui donne une nouvelle place dans la famille et certaines responsabilités.
Qu’est-ce qui a été le plus beau et le plus difficile dans cette expérience ?
Le plus beau : qu’il m’adopte immédiatement et me laisse entrer dans son univers et celui de son père. Une anecdote : tout au début, il m’avait donné une petite poussette Caritas en disant : « Tiens, c’est pour quand tu auras un bébé avec papa. » On n’en avait jamais parlé.
Le plus difficile : ne pas exister officiellement. Je m’occupe de lui comme si c’était mon fils, mais administrativement, je ne suis personne. Pour les démarches, l’hôpital ou certaines décisions, seuls ses parents comptent. Je peux donner mon avis, mais je n’ai jamais la décision finale. C’est parfois frustrant.
Comment décrirais-tu votre relation aujourd’hui, maintenant qu’il a 17 ans ?
La relation est très bonne. Mais il a 17 ans : il a son monde, ses amis. Quand il avait huit ans, il était très centré sur nous ; maintenant, il préfère sortir, et ça fait un petit pincement de le voir grandir. Mais nous avons une vraie relation de confiance : il sait qu’il peut me parler, qu’il peut compter sur moi. Et quand il est là, nous passons de beaux moments. J’apprends simplement à m’effacer un peu.
Qu’aimerais-tu que l’on comprenne mieux à propos des belles-mères ?
Les mamans portent le monde, mais les belles-mamans portent aussi un monde… qui n’est pas le leur. C’est un rôle beau et délicat : il faut prendre sa place, se faire accepter. Une belle-mère n’est pas une maman, mais c’est une présence bienveillante, une sorte d’étoile, toujours là si besoin, capable de poser un cadre, d’écouter, d’accueillir. Elle doit construire son propre rôle, ce qui n’est pas toujours évident.
Si tu pouvais parler à la jeune femme que tu étais à 24 ans, qu’est-ce que tu lui dirais ?
Je lui dirais de ne pas avoir peur : tout va bien se passer. De ne pas écouter les personnes qui découragent ou jugent. Une famille peut prendre plusieurs formes. Je lui dirais de faire sa place, de faire son expérience, que c’est une chance et un cadeau, pas une tare. D’écouter son cœur.
Qu’est-ce que cette expérience a changé en toi ?
Elle m’a challengée et m’a fait devenir « maman » avant l’heure. Elle m’a fait grandir et m’a appris une autre façon d’aimer. Elle m’a rendue plus attentive aux non-dits, plus vigilante, plus bienveillante. En tant que maman, elle m’a poussée à valoriser la fratrie et les moments ensemble. Il a une très belle relation avec ses frères, notamment celui de bientôt quatre ans. Quand il a été hospitalisé et paralysé, son petit frère de 18 mois a arrêté de progresser et n’a marché que le jour où lui-même a remarché. Une connexion très forte.
Cette expérience m’a rendue plus tolérante sur les modèles familiaux : on peut créer une relation forte avec quelqu’un qui a un bagage, et tout peut très bien se passer.


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