La bipolarité appelée aussi trouble de l’humeur et anciennement maniaco-dépression est une maladie qui touche 1 à 2% des adultes dans le monde. Alternant épisodes d’euphorie et de dépression, le quotidien des personnes concernées est un défi de chaque instant encore plus quand on est parent. Nous avons rencontré Cécile dont le trouble bipolaire a été diagnostiqué à l’âge de 40 ans. Ses filles avaient alors 4 et 1 ans. Avec courage et résilience, Cécile a accepté de répondre à nos questions en toute transparence. Son témoignage très touchant permet de faire la lumière sur cette maladie invisible et taboue comme tout ce qui touche à la santé mentale. Du fond du coeur, merci Cécile.
Cécile, peux-tu te présenter en quelques mots ?
J’ai 47 ans, je suis française de Haute-Savoie. À 36 ans, j’ai mis au monde ma 1re fille Ilona puis, 3 ans plus tard, sa petite sœur Valentine. En 2015, mon trouble bipolaire voit le jour. Un trouble qui va me mener à faire des choix de vie auxquels personne ne nous prépare jamais !
Quand et comment as-tu été diagnostiquée ?
3 mois avant mes 40 ans. L’année précédente, 2 semaines avant d’accoucher, j’apprends que ma maman, atteinte d’un cancer du pancréas, est condamnée. J’accouche sous ocytocine à J+12. De retour à la maison, en plein baby-blues, je navigue entre cris, pleurs, crises et épuisement. La reprise du travail est de très courte durée car je me fait licencier dès mon retour de congé maternité, par une amie, ce que je vis comme une trahison. Malgré la tristesse et en plein burn out maternel, j’en profite pour passer un maximum de temps avec ma maman à Grenoble.
En janvier 2015, elle se fait hospitaliser pour la dernière fois. Les allers-retours me font culpabiliser d’être loin de mes filles. Les tensions familiales cumulées au manque de sommeil me fragilisent. Je sens que je perds pied.
Le 16 février, je rentre à Genève pour les 1 ans de ma fille Valentine. Avant de prendre mon train, je maquille ma maman pour son dernier anniversaire et je lui fais mes adieux.
Le 19 février, pendant la fête de Valentine, j’apprends son décès et, bizarrement, je saute de joie. Malgré les circonstances, je suis d’humeur euphorique, irritable et je commence à agir de manière étrange.
Je m’éclipse pour aller acheter une jolie tenue pour les funérailles ; je veux offrir une maison à mes beaux-parents ; je pense ultra rapidement ; mes idées fusent ; je suis hyperactive ; je parle très vite ; je veux contacter France 3 pour qu’ils assistent aux funérailles et je demande à une amie de filmer l’éloge funèbre que j’ai écrite à moitié… Un vrai désastre !
Face à ce comportement totalement décalé, incohérent et inquiétant, mon mari fait venir SOS médecin en urgence. Je suis alors, sans le savoir, au pic de mon 1er épisode hypomaniaque.
Le diagnostic de bipolarité tombe, comment réagis-tu ?
Je n’ai pas réagi. Je me demande même si j’ai entendu. Quand on est en phase haute, on est déconnecté. Je me souviens que le médecin m’a demandé de mettre tous mes livres de développement personnel dans une boîte. Mon mari et mes beaux-parents ont géré comme des As les filles pour que je puisse malgré tout assister aux funérailles de ma maman et éviter l’hospitalisation.
Quel traitement/prise en charge te propose-t-on dans un premier temps ?
Dans l’urgence, le médecin me donne du Zyprexa, un neuroleptique puissant et nous mettons en place une « auto-hospitalisation ».
Sais-tu d’où vient ton trouble bipolaire ?
Il faut savoir que le trouble bipolaire appelé aussi trouble de l’humeur émerge quand une fragilité génétique rencontre une fragilité psychologique avant de se heurter à un événement de la vie (licenciement, accouchement traumatique, décès…). L’interaction des 3 fait naître le trouble bipolaire que j’aime définir comme un tiercé perdant.
Ma fragilité génétique vient du côté maternel avec un cas connu et un autre suspect. Ma fragilité psychologique est une hypersensibilité et ultra-réactivité aux événements qui font que mes émotions débordent intensément et rapidement. Pour finir, le traumatisme et le chagrin de la perte de maman ont été incommensurables.
Des études montrent que la mort de notre parent peut altérer la chimie de notre cerveau. Quant au burn out parental, il peut devenir pathologique dans 5% des cas.
Trouver le pourquoi exact de mon trouble prendra le reste de ma vie.
J’aime définir le trouble bipolaire comme un tiercé perdant.
Comment concilier maternité & bipolarité ?
J’étais déjà maman quand ma bipolarité s’est déclarée. Elle a chamboulé ma vie de femme et de mère. J’ai dû me réinventer et faire au mieux pour assumer mes responsabilités. Je traverse régulièrement des zones de turbulences dont je ressors chaque fois plus forte. Je me fais accompagner par une thérapeute extraordinaire qui me donne des outils pour mieux comprendre mes filles. De tous les métiers exercés, celui de maman est bien le plus énergivore et stressant, mais le plus riche en apprentissages.
De tous les métiers exercés, celui de maman est bien le plus énergivore et stressant, mais le plus riche en apprentissages.
Dans mon parcours de soins, je suis très bien entourée mais, à la maison, je suis une maman solo parmi tant d’autres qui doit assumer toutes les tâches et c’est souvent volcanique (sourire). Il faut anticiper, solutionner et (re) cadrer constamment. Je me sens souvent débordée. A ma connaissance, il n’existe aucune structure d’aide à domicile, prise en charge par les assurances, pour venir en aide aux parents solos atteints d’une maladie psychique.
La paperasse devient parfois insurmontable. Me retrouver le soir devant ma vaisselle me fait pleurer. Prendre une douche en phase dépressive, c’est comme gravir le mont Sinaï. Je dois alors puiser en moi des ressources insoupçonnées pour ne pas que mes filles en pâtissent. C’est en appelant des ami(e)s à l’aide que j’ai eu, l’année dernière, l’idée de missionner des adolescents de mon village pour me soutenir à la maison.
Comment as-tu expliqué la maladie à tes filles ?
C’est une chose que de vivre la maladie en tant que parent, il en est une autre que de voir nos enfants subir nos comportements causés par celle-ci. Ils sont les premiers témoins et je dirais même que mes filles ont décelé les signes avant tout le monde. Je ne me souviens pas leur avoir expliqué car je n’étais pas en état. Et comment raconter à un enfant en bas âge une maladie invisible que nous même en tant qu’adulte on ne perçoit pas ?
Chaque enfant évolue de façon différente face à la maladie de son parent. J’ai moi même grandi avec une mère malade alcoolique. J’étais petite quand elle a commencé à boire. J’ai dû créer mon propre bouclier face à la vie car vivre avec une mère parfois instable c’est grandir dans un climat familial tendu, conflictuel, imprévisible ou incohérent. C’est faire face à un parent que l’on aime et redoute simultanément. C’est être confronté quotidiennement à la peur, la honte, la culpabilité, l’insécurité et l’isolement.
En plus des défis engendrés par ma maladie, mes filles ont perdu leurs 2 grands-mères en 11 mois, des animaux qu’elles adoraient et, en 2018, elles ont subi la séparation de leurs parents. Mes 2 petites hypersensibles sont donc très courageuses de débuter ainsi leur vie.
Depuis le covid, on a jamais autant parlé de maladie mentale. Grand nombre de séries TV et de films parlent de ce trouble. A la maison, nous regardons la série Ici tout commence sur TF1. Vanessa Demouy interprète une femme avec un trouble bipolaire. C’est une occasion pour moi de parler à mes filles de ce que je vis.
Le vernissage en octobre dernier du livre de Tamara Pellegrini Ma maman a une maladie invisible, mais moi je la vois (le titre parle de lui-même) a beaucoup changé ma vision et façon de vivre la maladie vis à vis de mes filles.
Peux-tu compter sur le soutien de ton entourage ?
Ce trouble est encombrant pour tout le monde surtout pour les proches. La même Cécile peut être et fonctionner normalement puis vivre des états d’exaltation ou de dépression. Je pense qu’il est important que les proches soient au courant car ils deviennent des partenaires de soins. À ce jour, mon entourage est la pièce maîtresse de mon socle.
En parles-tu facilement ou le sujet reste tabou et difficile à aborder ?
Je suis une pipelette née et une femme de médias et de communication alors en parler aujourd’hui fait du sens à ma quête de conquérir la Vie. Cette vie qui a mis sur mon chemin la maladie, une adversaire redoutable.
Quel traitement suis-tu aujourd’hui ?
J’ai mal vécu les neuroleptiques et leurs nombreux effets secondaires. La vraie Cécile est une femme d’action alors qu’en les prenant j’étais KO. En 2020, je suis passée au lithium, une molécule qui traite le trouble de l’humeur et que par chance je tolère bien. Cela a changé ma vision des traitements et mon acceptation pour ceux-ci.
Comment éviter une crise/rechute ?
Éviter les crises/rechutes, cela s’apprend. Il faut découvrir ses limites et les signaux d’alarme à écouter pour anticiper et éviter la crise. Depuis 2 mois, je m’octroie des petites parenthèses « selfcare » en retournant dans ma maison d’enfance en France pour me ressourcer. J’y retrouve l’espace et le silence dont j’ai tant besoin.
As-tu une routine ou hygiène de vie particulière ?
La routine prioritaire et sécuritaire que j’ai est celle de mes deux alarmes quotidiennes pour mon lithium. Après, mes journées sont rythmées par mon humeur. Pour atteindre un état d’humeur relativement stable, je m’entraîne 2 fois par semaine avec mon coach sportif Morgan, fondateur de 4GoodMove. Ensemble, nous nous sommes fixés un objectif important : accueillir mon humeur et adapter les sessions pour avoir le dosage optimal d’endorphines, ni trop ni pas assez, pour que mes journées soient supportables.
As-tu peur d’avoir une crise en étant avec tes filles ? Pourraient-elles te venir en aide ?
Ce n’est pas leur rôle de m’aider, ma maladie est déjà assez épuisante pour elles. Ces 2 « pépites » (comme disent les jeunes aujourd’hui) puisent dans leurs ressources personnelles pour faire face à cette drôle de réalité.
Avec l’expérience, dès que je me sens en difficultés, ou que les symptômes apparaissent, dès que je vois leurs regards parfois effrayés, leurs remarques, leurs comportements, elles me transmettent des indicateurs qui me permettent de mettre fin à un début de crise.
Quand j’entends « Maman tu roules pas un peu vite ? », « Purée tu t’énerves pour rien », « Mais maman, t’es haute ou t’es basse là ?! », je me fais prendre en charge rapidement. En février 2021, j’ai demandé une hospitalisation programmée à la Clinique du Grand-Salève et j’ai pu éviter une rechute.
Être maman solo, avec un trouble psychique, c’est faire face aux défis parentaux puissance 10 !
As-tu peur que tes filles développent un trouble bipolaire ? Est-ce héréditaire ?
Cette peur est légitime car le terrain génétique fait partie de l’équation, mais il n’est pas suffisant pour déclencher la maladie. Mon infirmier référent qui anime le groupe Bauer à l’Unité des troubles de l’humeur des HUG à Genève, m’a récemment réconfortée en me confirmant que ce trouble ne se transmettait pas.
Quel est l’impact de la maladie sur ton quotidien et tes plus grands défis ?
L’impact est si considérable qu’il mériterait à lui seul un paragraphe de 2000 mots mais on peut dire que mon trouble rend mes défis plus challengeants que certaines personnes. Joachim Lafosse a réalisé un film en 2021 (que je vous recommande) sur le quotidien d’un couple dont le mari souffre d’un trouble bipolaire. Son titre Les Intranquilles exprime bien ce que l’on vit et fait vivre à notre entourage.
Ta meilleure thérapie ?
L’Amour de ceux qui m’accompagnent dans ce cheminement.
Qu’est-ce que cette maladie t’as apprise sur toi ?
Depuis 7 ans, elle me pousse à être la Sherlock Holmes de moi-même. J’enquête et je découvre des choses surprenantes. Je suis devenue l’experte de mon humeur.
Je suis devenue l’experte de mon humeur.
Un message que tu souhaiterais faire passer ?
Se remettre d’une crise demande des efforts considérables. Il m’est arrivée de croire que j’étais folle je l’avoue sans honte aucune aujourd’hui. Mon cerveau fuse et ce, même en phase normale. C’est mon fonctionnement et ça, personne ni aucun traitement ne pourra me l’enlever.
Je suis ravie qu’aujourd’hui certains psychiatres dont Patrick Lemoine évoquent « qu’il est établi qu’un lien génétique fort existe entre la maladie maniaco-dépressive, l’intelligence et la créativité ». Ce message pourrait réconforter certaines personnes que j’ai rencontré en hôpital psychiatrique. Des personnes incroyablement douées et créatives qui malheureusement ne peuvent se réaliser car la maladie mentale est encore trop stigmatisée et je trouve cela bien dommage.
Il est établi qu’un lien génétique fort existe entre la maladie maniaco-dépressive, l’intelligence et la créativité.
Cécile, que peut-on te souhaiter de meilleur aujourd’hui pour demain ?
D’être une maman JUSTE.
Quels sont tes projets futurs ?
Avec les décompensations, j’ai compris que prendre soin de ma santé était LA priorité. Je travaille alors à mon bien-être pour être disponible pour mes filles et les gens que j’aime. Depuis toute petite, j’ai besoin d’aider les autres. J’aimerais organiser une opération sur le domaine de Belle-Idée et leur apporter des vêtements. J’ai croisé des personnes en hôpital psychiatrique qui séjournaient avec les mêmes vêtements plusieurs jours, voire plus. Cela m’a marqué. A chacune de mes sorties je distribuais des habits et c’est en me remémorant les sourires de ces rencontres que m’est venue cette idée.
Danseuse dans l’âme, j’aimerais me reconnecter à cette passion en dansant mon trouble et mes états émotionnels. Je souhaiterais aussi co-produire un documentaire aux multiples regards et, un jour, éditer mon livre.
Plus qu’un combat, une conquête qui ne porte pas encore de nom, mais dont le sens commence à prendre une direction propre à mes choix de vie. Elle a un lien avec la communication !
Mon petit mantra actuel : « choisir pour ne plus subir ».
Pour aller plus loin
Unité troubles de l’humeur – Service de spécialités psychiatriques à Genève aux HUG
SanteRomande.ch – Trouble bipolaire
Podcast – Troubles bipolaires: comment c’est de vivre avec? – rts.ch – Monde
Journée mondiale des troubles bipolaires | HUG Services
„Les invisibles“ auf Apple Podcasts
Mieux vivre avec un trouble bipolaire – Comment le reconnaître et le traiter – broché – Christine Mirabel-Sarron, Martin D. Provencher, Serge Beaulieu, Livre tous les livres à la Fnac co-écrit avec le Professeur Jean-Michel Aubry (HUG de Genève)
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