La découverte de la maternité fut pour le moins éprouvante pour Irina. Après un accouchement compliqué solutionné par une césarienne en urgence, la jeune maman ressent rapidement de l’inconfort lors de l’allaitement. Non pas des douleurs classiques, mais plutôt des pensées étranges teintées de tristesse, l’envahissant à chaque tétée, tandis que son bébé se nourrit bien. C’est par hasard, au détour de l’écoute d’un podcast, qu’elle comprendra ce dont elle souffre. Aujourd’hui, Irina parle de son Réflexe d’Éjection Dysphorique (RED) avec encore une vive émotion. Elle nous raconte.
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Irina, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Irina, j’ai 42 ans. Je suis la maman de Théo, 2 ans et 4 mois. Je vis en couple avec Sébastien, nous sommes ensemble depuis moins de dix ans et je travaille dans l’événementiel.
Comment imaginais-tu ton allaitement ? Et comment s’est passée la mise au sein ?
A vrai dire, je ne m’attendais à rien. Je savais que ma mère avait rencontré des difficultés à allaiter à la naissance de ses trois filles. Ainsi, j’ai toujours pensé qu’allaiter pourrait être compliqué pour moi aussi. Je m’étais dit que j’essayerai, sans m’obstiner. En voyant que cela se passait bien, j’ai donc été agréablement surprise !
Peux-tu nous expliquer ce qu’est le Réflexe d’Éjection Dysphorique (RED) ?
Alors, pour toutes les femmes, chaque fois que l’on met le bébé au sein, se produit ce que l’on appelle le Réflexe d’Ejection de Lait, le REL. En cas de Réflexe d’Ejection Dysphorique (RED), apparaissent plusieurs types de ressentis liés à l’éjection du lait, avec des sensations et des émotions très négatives, des angoisses, une boule au ventre, une sensation de vide, une grande tristesse, de l’anxiété, et parfois jusqu’à des pensées suicidaires.
Ces idées et sensations se manifestent au moment de l’éjection du lait, cela peut durer trente secondes à deux minutes, ou pendant toute la tétée. C’est un phénomène hormonal encore assez peu compris. Il y a plusieurs théories, la première serait un dysfonctionnement au niveau de la dopamine, avec une chute trop intense de la dopamine qui impacte le cerveau et les hormones.
Ça ne se soigne pas vraiment, il n’y a pas vraiment de médicament. Et cela dépend des femmes. Cela peut durer toute la période d’allaitement, mais en général, ça semble disparaître au bout de deux ou trois mois. Ce que j’ai aussi pu lire, c’est que la principale façon de le gérer, c’est encore de savoir que l’on en est atteinte. En le sachant, on peut se raisonner et se dire que ça va passer. On peut aussi recourir à de la méditation, de la sophrologie, à des exercices de respiration, et de mentalisation de choses agréables.
À quel moment as-tu commencé à ressentir un malaise en allaitant ? Quels étaient les symptômes ? Disparaissaient-ils à la fin de chaque tétée ?
J’ai tout de suite ressenti que je n’étais pas bien lors de l’allaitement. Sans pouvoir vraiment expliquer pourquoi. Peu à peu, j’ai pris conscience que c’étaient des moments de grande tristesse et de mal-être, des moments dont je n’avais pas envie, et que je n’aimais pas. C’était très dur de constater, pendant que l’allaitais mon fils sur mon canapé, avec une belle vue sur l’extérieur, que je m’imaginais ouvrir la fenêtre et sauter. Mes pensées sont allées très loin. Et même si elles disparaissaient à la fin de l’allaitement, elles laissaient une trace très perturbante et amère du moment.
Dans mon cas, je ne ressentais pas de stress ni d’angoisse, mais plutôt une grande tristesse, une sensation de vide, je n’avais envie de rien, et encore moins d’être là et d’allaiter. Cela pouvait durer pendant toute la tétée ou seulement pendant de l’éjection du lait. C’est très difficile à vivre. Avoir ces pensées quand on nourrit son enfant, c’est terriblement douloureux !
Avant de découvrir ce que tu avais, comment as-tu vécu ton post-partum ? As-tu pu en parler ? As-tu trouvé du soutien ? Et pourquoi ne pas avoir arrêté l’allaitement tout de suite ?
J’ai très mal vécu mon post-partum. J’ai trouvé cela très dur. L’allaitement était compliqué, j’avais l’impression de ne pas être à la hauteur. Je culpabilisais beaucoup parce que je n’étais pas du tout épanouie.
Comme nous avons mis du temps à avoir Théo, avec une PMA, je pensais que ce moment serait le plus heureux de ma vie. Au lieu de cela, je n’étais pas du tout heureuse et j’avais envie de retourner au travail. Je voulais reprendre ma vie d’avant et me retrouver moi-même. Là, j’avais l’impression d’être complètement annihilée par mon bébé, et de plus être une personne à part entière. En fait, j’ai été très choquée de ne plus me sentir moi, et de vivre pour quelqu’un d’autre. Ce fut très culpabilisant parce que, dans la maternité, la maman est censée être épanouie.
Après trois semaines, Théo a commencé à beaucoup pleurer, sans que l’on ne comprenne pourquoi. Puis, il a été diagnostiqué, assez tard, d’un reflux interne. On est passé par toutes les étapes, on a tout essayé. Encore une étape difficile. Et puis, on s’est rendu compte que ce qui soulageait Théo, c’était d’être en porte-bébé, à la verticale. Nous l’avions donc tout le temps contre nous, et cela a accentué le sentiment d’être complètement, et tout le temps, lié à lui.
J’en ai alors un peu parlé avec ma sage-femme. De l’allaitement, je lui disais surtout que c’était douloureux, parce que je n’osais pas dire que ça me déprimait. On parle de l’allaitement comme d’un moment d’épanouissement et de fusion avec son bébé, et pour moi, ça ne l’était pas. Je n’ai jamais osé le dire. Je ne me sentais pas normale, je me pensais folle.
Ma sage-femme m’a proposé de voir une psychologue. Elle a d’abord eu la gentillesse de venir à la maison parce que je n’osais pas sortir avec Théo qui pleurait tant. Mais là, je n’ai pas vraiment réussi à en parler. Finalement ce qui m’a permis d’avancer, c’est quand la psychologue a proposé que je vienne à son cabinet, avec Théo. Le véritable exercice, c’était cela : d’avoir confiance que cela se passerait bien et que je pouvais le faire.
Si je n’ai pas arrêté l’allaitement tout de suite, c’est parce que j’avais beaucoup de lait et que Théo prenait bien. Et je trouvais qu’arrêter l’allaitement aurait été très égoïste. J’ai aussi pensé à toutes ces femmes qui ont du mal à allaiter, qui le veulent, et qui se mettent dans des situations compliquées pour y arriver. Je n’assumais pas du tout d’arrêter et trouvais que cela aurait été tellement dommage puisque ça fonctionnait bien pour Théo.
Personne, au sein du corps médical, ne t’avait parlé du Réflexe d’Éjection Dysphorique (RED) pendant ta grossesse. Comment as-tu compris ce que tu vivais ? As-tu été soulagée en apprenant que tu n’étais pas seule et que ce trouble était d’origine hormonale ?
J’ai découvert le RED par hasard en écoutant un podcast de France Inter qui s’appelle In Utero. L’épisode portait sur les modifications du cerveau maternel pendant la grossesse. A la 12ᵉ minute, j’entends le médecin parler du RED. Ça a été un énorme soulagement et une énorme tristesse à la fois. Un soulagement parce que je me suis dit que je n’étais pas folle, et j’ai appris que c’est d’origine hormonale. Et une grande tristesse parce que si j’avais su, je suis convaincue que cela aurait tout changé.
Le RED touche entre 9 et 10 % des femmes. C’est énorme ! J’ai été soulagée, triste, mais aussi en colère parce que je ne comprends pas que personne ne m’ait jamais parlé de cela. J’ai suivi des cours de préparation lors de la grossesse, des cours d’allaitement, j’ai été à Arcade Sage-Femme, une sage-femme est aussi venue à la maison, j’ai parlé avec ma gynécologue, j’ai vu une conseillère en allaitement à la clinique où j’ai accouché, puis à l’hôpital où Théo a été hospitalisé… C’est donc dingue que personne n’ait jamais évoqué le RED.
Et si j’avais su, j’aurais probablement tiré mon lait, car en tirant son lait, le RED est généralement moins fort. Ainsi, j’aurais donné le biberon à Théo et ces moments auraient été vraiment plus agréables.
Comment a évolué ton Réflexe d’Éjection Dysphorique ? A-t-il diminué à la fin de ton allaitement et complètement disparu après le sevrage ?
J’ai un souvenir un peu flou, mais globalement, lorsque j’ai arrêté l’allaitement, au bout de trois mois, le RED s’est arrêté puisque c’est vraiment lié au réflexe d’éjection.
Comment as-tu vécu le contraste entre ton désir intense d’avoir Théo avec un parcours PMA, et le mal-être que tu ressentais dans ta maternité ?
Ça a été très très compliqué, avec beaucoup de culpabilité. Quand on passe par la PMA et tout ce que cela implique, le désir d’enfant est si fort qu’on idéalise son arrivée. J’entendais mes amies parler de leur maternité, de leur enfant qui ne dormait pas, de leurs problèmes, et moi, je voulais que ces sujets soient aussi les miens. J’étais persuadée que je serais ravie de me lever la nuit pour m’occuper de mon bébé, pour l’allaiter, c’était ce que je voulais.
Et en réalité, quand c’est arrivé, ça n’était pas le cas, je n’avais pas envie de tout cela, et voulais reprendre ma vie d’avant. Je culpabilisais énormément, même si toutes ces pensées liées au RED, aussi négatives et tristes soient elles, ne sont jamais à l’égard du bébé, mais toujours tournées vers soi.
Tu as pris la décision d’arrêter ton allaitement après 3 mois. Comment as-tu vécu cette décision, et quel impact cela a-t-il eu sur Théo et toi ?
Théo souffrait de reflux et pleurait beaucoup. On lui a alors donné de l’épaississant avant l’allaitement pour calmer les reflux. Mais le plus simple était de lui donner au biberon un lait anti-reflux déjà épaissi. En essayant, on s’est rendu compte que Théo buvait ce qu’on lui donnait. Peu importait que cela soit mon lait ou un lait maternel. Donc la décision d’arrêter l’allaitement a été plutôt facile à prendre de ce point de vue-là.
Et si elle n’a pas eu d’impact sur Théo, elle en a eu un, en revanche, sur moi ! Je me suis sentie tellement mieux ! Sébastien était tout à fait d’accord et m’a complètement soutenue dans cette décision.
Malgré tout, j’ai trouvé difficile de la prendre parce que j’avais beaucoup de lait, et que tout se passait bien pour Théo, au delà du reflux.
Si on avait su avant, que Théo souffrait en réalité d’une allergie à la protéine de lait, j’aurais sans doute arrêté l’allaitement plus tôt, parce qu’un régime sans protéine de lait est très fastidieux. Mais là, c’était ma décision vis-à-vis de moi, de mon bien-être, et j’en ai beaucoup culpabilisé. Aujourd’hui, encore je n’assume toujours pas parce que je trouve que c’est du gâchis.
Si j’avais décidé d’arrêter parce que je savais que je souffrais du RED, alors les choses auraient été différentes, et j’aurais arrêté avant. Mais je ne le savais pas.
Comment as-tu été soutenue pendant cette période difficile, et as-tu réussi à en parler à ton entourage ?
C’est un sujet encore douloureux. Mais globalement, je me suis sentie très seule, pas vraiment comprise. Je n’ai pas du tout réussi à parler à mon entourage de ce que je vivais, je restais assez vague, et n’en ai pas révélé toute l’ampleur.
Je n’osais pas non plus parler à ma sage-femme de ce que je vivais lors de l’allaitement. Je disais surtout que j’avais mal. Un jour, je lui ai dit que je n’aimais pas allaiter et j’ai vu son regard jugeant. J’ai alors adapté mon discours en évoquant la douleur, car, ça, c’est universel, c’est entendable.
J’ai aussi un peu parlé à une conseillère en lactation à l’hôpital qui a eu un discours très culpabilisant et violent. Elle m’a dit : « Ah mais, si vous n’aimez pas l’allaitement, votre bébé le ressent et doit mal le vivre. Donc vous avez plutôt intérêt à arrêter. ». Il y a un vrai diktat autour de l’allaitement, de la maternité et le fait que la maman doit s’épanouir sans se plaindre. Aujourd’hui, les langues se délient mais on n’en parle pas encore assez.
Quel message souhaites-tu adresser au corps médical pour mieux sensibiliser et accompagner les futures mères à propos du RED ?
Il faut vraiment que le RED soit abordé lors des cours de préparation à l’accouchement et à l’allaitement. Les sage-femmes doivent en être informées et en parler. Quand on constate une détresse ou un malaise, il faut l’évoquer, il faut que la maman sache que ça existe. Au même titre que les engorgements et la douleur.
Il faudrait plus d’études, car elles sont trop peu nombreuses. On trouve peu de choses sur internet, un peu plus dans la littérature anglophone. Il faut donc en parler pour que la maman soit au courant en amont, et que, si cela lui arrive, elle puisse en parler et trouver des réponses. Et bien sûr, il faut aussi arrêter de culpabiliser les femmes sur l’allaitement, mais ça, c’est un autre sujet !
Irina, que peut-on te souhaiter de meilleur aujourd’hui pour demain ?
De faire la paix avec tout ça ! D’arriver à en parler sans que cela me touche autant. D’être apaisée et sereine par rapport à ce que j’ai vécu. De me pardonner aussi, car même si je sais que c’est un problème hormonal, j’ai du mal à me pardonner. Je voudrais donc aller de l’avant, et repenser à tout cela avec sérénité et bienveillance.
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